Sunday, May 11, 2008

"Babouineries partout!" Albert Cohen, Belle du Seigneur.

"Babouineries partout!" Albert Cohen, Belle du Seigneur.

"Babouineries partout. Babouinerie et adoration animale de la force, le respect pour la gent militaire, détentrice du pouvoir de tuer.
Babouinerie, l'émoi de respect lorsque les gros tanks défilent.
Babouinerie, les cris d'enthousiasme pour le boxeur qui va vaincre, babouinerie, les encouragements du public. Vas-y, endors-le! Et lorsqu'il est mis knock-out l'autre, ils sont fiers de le toucher, de lui taper dans le dos. C'était du sport, ça! Crient-ils.
Babouinerie, l'enthousiasme pour les coureurs cyclistes. Babouinerie, la conversion du méchant Jack London a rosse et qui, d'avoir été rosse, en oublie sa haine et adore désormais son vainqueur.
"Babouinerie, partout. Babouines, les foules passionnées de servitude, frémissantes foules en orgasme d'amour lorsque parait le dictateur au menton carre, dépositaire du pouvoir de tuer. Babouines, les mains tendues pour toucher la main du chef et s'en sanctifier.
Babouins, les attaches de cabinet sages et religieux, debout derrière leur ministre qui va signer le traite, et ils s'empressent avec le buvard, honores de saintement sécher la signature, O les dévoues petits babouins!
Babouins, les sourires attendris des ministres et des ambassadeurs entourant la reine qui embrasse la petite fille au bouquet.
Babouin, le sourire de Benedetti, l'autre jour a la Sixième Commission, pendant que le vieux Cheyne lisait son discours. Sur le gras visage de ce salaud, un sourire que l'émoi de respect rendait bon, virginal, délicat. Mais ce sourire signifiait aussi qu'il s'aimait en son amour pour le grand patron, car de cette adorable Importance qui discourait, il se sentait participer.
"Babouins, les crétins reçus par le dictateur italien et qui viennent ensuite me vanter le sourire séduisant de cette brute, un sourire si bon au fond, disent-ils tous, O leur ravissement femelle devant le fort.
Babouins, ces autres qui s'extasient devant quelque petite bonté de Napoléon, de ce Napoléon qui disait qu'est- ce que cinq cent mille morts pour moi? Ils ont tous un faible pour le fort, et la moindre douceur des durs leur est exquise, les ensorcelle. Au théâtre, ils s'attendrissent devant le vieux colonel sévère qui a une bienveillance inattendue. Esclaves! Mais un homme tout bon est toujours trouve un peu nigaud. Au théâtre, le méchant n'est jamais ridicule, mais un homme bon l'est souvent, fait souvent rire. D'ailleurs, il y a du mépris dans les mots brave homme ou bonhomme. Et une domestique, ne l'appelle-t-on pas une bonne?
"Babouines adoratrices de la force, les jeunes Américaines qui ont pris d'assaut le compartiment du prince de Galles, qui ont caresse les cousins sur lesquels il a pose son postérieur, et qui lui ont offert un pyjama dont chacune a cousu un point. Authentique. Babouine, la rafale d'hilarité qui a secoue l'autre jour l'Assemblée a une plaisanterie du Premier ministre anglais, et le président a manque s'étrangler. Niaise, cette plaisanterie, mais plus le plaisantin est important et plus on savoure, les rires n'étant alors qu'approbation de la puissance.
"Babouinerie et adoration de la force, le snobisme qui est désir de s'agréger au groupe des puissants. Et si le même prince de Galles oublie de boutonner le dernier bouton de son gilet ou si, parce qu'il pleut, il retrousse le bas de son pantalon, ou si, parce qu'il a un furoncle sous le bras, il donne des poignées de main en levant haut le bras, vite les babouins ne boutonnent plus le dernier bouton, vite font retrousser le bas de leur pantalon, vite serrent les mains en arrondissant le bras.
Babouinerie, l'intérêt pour les idiotes amours de princesses. Et si une reine accouche, toutes les dames bien veulent savoir combien son vermisseau pèse de kilos et quel sera son titre. Incroyable babouin aussi, cet imbécile soldat agonisant qui a demande à voir sa reine avant de mourir.
"Babouinerie, la démangeaison féminine de suivre la mode qui est imitation de la classe des puissants et désir d'en être. babouinerie, le port de l'épée par des importants sociaux, rois, généraux, diplomates et même académiciens, de l'épée qui est signe du pouvoir de tuer.
Babouinerie suprême, pour exprimer leur respect de ce qui est le plus respectable et leur amour de ce qui est le plus aimable, ils osent dire de Dieu qu'il est le Tout-puissant, ce qui est abominable, et significatif de leur odieuse adoration de la force qui est pouvoir de nuire et en fin de compte pouvoir de tuer."Cette animale adoration, le vocabulaire même en apporte des preuves. Les mots lies à la notion de force sont toujours de respect. Un "grand" écrivain, une oeuvre"puissante", des sentiments "élevés", une "haute" inspiration. Toujours l'image du gaillard de haute taille, tueur virtuel. Par contre, les qualificatifs évoquant la faiblesse sont toujours de mépris. Une "petite" nature, des sentiments "bas", une oeuvre "faible". Et pourquoi "noble", ou "chevaleresque" sont-ils termes de louange? Respect heredite du Moyen Age. Seuls a détenir la puissance réelle, celle des armes, les nobles et les chevaliers étaient les nuisibles et les tueurs, donc les respectables et les admirables. Pris en flagrant délit, les humains! Pour exprimer leur admiration, ils n'ont rien trouve de mieux que ces deux qualificatifs, évocateurs de cette société féodale ou la guerre, c'est-à-dire le meurtre, était le but et l'honneur suprême de la vie d'un homme! Dans les chansons de geste, les nobles et les chevaliers sont sans arrêt occupes a tuer, et ce ne sont que tripes traînant des ventres, crânes éclates bavant leurs cervelles, cavaliers tranches en deux jusqu'au giron. Noble! Chevaleresque! Oui, pris en flagrant délit de babouinerie! A la force physique et au pouvoir de tuer ils ont associe l'idée de beauté morale!"Tout ce qu'ils aiment et admirent est force. L'importance sociale est force. Le courage est force. L'argent est force. Le caractère est force. Le renom est force. La beauté, signe et gage de santé, est force. La jeunesse est force. Mais la vieillesse, qui est faiblesse, ils la détestent. Les primitifs assomment leurs vieillards. Les jeunes filles de bonne famille, en mal de mariage, précisent dans leurs annonces qu'elles ont des espérances directes et prochaines, ce qui signifie que Papa et Maman vont bientôt claquer, Dieu merci. "Ce qui est péché originel n'est que la confuse honteuse conscience que nous avons de notre nature badouine et de ses affreux affects. De cette nature, un témoignage entre mille, le sourire qui est mimique animale, héritée de nos ancêtres primates. Celui qui sourit signifie a l'hominien d'en face qu'il est pacifique, qu'il ne mordra pas avec ses dents, et pour preuve il les lui montre, inoffensives. Montrer les dents et ne pas s'en servir pour attaquer est devenu un salut de paix, un signe de bonté, pour les descendants du quaternaire........Albert Cohen, Belle du Seigneur.

2 comments:

Issime said...

Inoubliables les babouineries merci de diffuser ce si beau texte, ô toi frère humain.

dam said...

Ce texte en dit long sur ce que nous sommes. Je pense qu'il n'y a qu'à se taire.